La politique ? Un monde de brutes ! On peut le vérifier en plongeant dans le récit tragi-comique que fait Elisabeth BOYER de son action pendant onze ans au cœur du débat public, en tant que Secrétaire Générale du Parti Radical de Gauche (PRG).
A partir d'anecdotes vécues, elle donne à voir ce petit monde-là, un tout petit monde de dirigeants et d'élus souvent désinvoltes, peu travailleurs, surtout assidus à s'emparer du pouvoir et à le conserver. Elle, qui côtoie des acteurs de premier plan du Parlement Européen, des partis politiques, du Parlement mais aussi de la Région Ile de France, les décrit comme autant de comédiens interprétant leur rôle avec plus ou moins de talent et de sérieux.
Le récit gagne en intensité dramatique à mesure que la militante sincère approche le "dur" du pouvoir. Les anecdotes se font féroces quand il est question des féodalités (avec leur lot de fils de..., filles de..., femmes de..., maîtresses de....) et des élites issues des grandes écoles. La violence des clans, la suprématie des héritiers, la lutte pour les postes, le machisme, tout se déchaîne dès lors que l'on questionne ces fondamentaux de la République... Elle va payer cash son indépendance d'esprit.
Posant un regard toujours lucide et critique sur les mille tractations qui animent les coulisses des grands rendez-vous électoraux, elle a souvent été en première ligne pour permettre au radicalisme, en tant que valeur de gauche, qui est sa colonne vertébrale, de garder une visibilité dans la représentation nationale. Beaucoup d'élus PRG doivent leur statut à sa pugnacité à défendre la pluralité face à un grand parti hégémonique qui ne s'encombre guère des principes quand les alliances opportunes ont produit les résultats escomptés. Cela lui vaut le respect de beaucoup pour son désintéressement.
Mais aussi de féroces inimitiés, parmi les intrigants de tout poil, qui se sont exprimées comme jamais lors des Primaires de gauche.Quand on n'a, historiquement, socialement, ni réseau, ni clan, ni famille en soutien à la carrière, il est déjà quasi-miraculeux que le talent permette d'accéder aux plus hautes responsabilités militantes. Mais l'exercice est difficile : aucune protection ne vient faire office de pare-feu quand on a le malheur de déplaire pour rester fidèle à ses principes.
"Tout ça pour ça" a-t-on envie de dire en sursautant à la lecture de tel épisode peu glorieux où l'on voit Tapie retourner une réunion de concertation avec son bagoût de bateleur de foire, de tel autre où l'on voit LePen imperator investissant en nombreuse compagnie le restaurant du Parlement européen, ou bien tel potentat provincial faisant visiter son fief rénové aux frais de la république avec la fierté du propriétaire... Vanité, vanité...Les idées, là dedans, on les laisse à ceux qui instruisent les dossiers. Ceux que l'on maintient dans l'ombre de crainte qu'ils n'en projettent une trop grande.
La politique est malade de consanguinité. Le témoignage d'Elisabeth BOYER en apporte la preuve, et la République est la grande perdante de cet échec à offrir une réelle égalité des chances à tous ses citoyens. Et citoyennes. Pour l'heure, la Journée de la Femme a encore été l'occasion de faire fleurir les habituels marronniers sur la parité, l'égalité, etc..., etc... Les dossiers sont rangés dans les placards jusqu'à l'année prochaine, il suffira de changer les dates des communiqués, articles, billets en tous genres pondus avec énergie par tous les staffs possibles et imaginables.
Le réel ? Des disparités scandaleuses et qui perdurent. Sans équivoque possible. Il suffit d'aligner les feuilles de salaires par exemple. Ou bien de consulter les données disponibles sur la représentation nationale : 21,8% de femmes sénatrices, 18,5% de femmes députées. Soit moins que sous la IVe République.
Ceci explique sans doute cela. Légiférer sur les questions de parité reste un exercice quasi-superfétatoire, pratiqué par le Parlement lorsque il a épuisé tous les autres sujets porteurs. On se garde bien d'ailleurs de vérifier l'application des textes. Et surtout pas au coeur des appareils politiques.
Ceci posé, ces Carnets d'une militante (sous-titre du livre) constituent un essai politique très ouvert. La multiplicité des domaines dans lesquels les compétences de l'auteure se sont exercées lui donnent une vue imprenable sur l'ensemble des mécanismes décisionnaires de l'Europe aux Régions en passant par les Parlement, les cantons, les communes et les tactiques d'appareils. Elle pose de solides préalables à la réappropriation du débat public par les citoyens.
Le récit rapporte des faits qui, pour la plupart, ne sont pas inconnus des milieux informés. L’auteure n’a pas souhaité faire du sensationnel, et elle a tu tout ce qui aurait pu y ressembler.
Sur le fond, les turpitudes de la vie politique sont quasi éternelles, non dans leur dimension particulière, mais générale. On sait que le cynisme domine, que le mensonge est l’ordinaire des propos politiques, la duplicité le commun des relations humaines, la violence et les humiliations – en paroles et gestes - le comportement quotidien de nombreux dirigeants. Et on peut déplorer que les convictions et la sincérité à défendre les idées soient souvent inversement proportionnelles au pouvoir de leur auteur.
L’objectif n’est pas d’amuser le lecteur avec des révélations croustillantes mais de lui donner à voir et à penser par lui-même, à propos de situations d’imposture, de faits inacceptables au regard des fondements du pacte social.
Le projecteur est mis sur la vie des élus et des militants à partir de nombreuses questions, celle du travail, de l’expérience, de la légitimité, des institutions, de l’éthique publique et de la promesse démocratique.
La narration a choisi les angles, les images, les perspectives les plus à même d’éveiller l’esprit critique.
L’essai repose sur la conviction que ce ne sont pas les faits qui sont révolutionnaires, mais les mots pour les raconter qui peuvent lever l’indignation, l’esprit de révolte et surtout les peurs qui bloquent toute possibilité de changement.
Le récit n’est pas un énième témoignage de ce qui désole la raison du citoyen appelé aux urnes. Il s’efforce de redonner au langage sa réelle capacité d’action quand il fait naître les sentiments qui lèvent les cœurs et font bouger les consciences, les croyances et les attentes.
L’essai parie sur la puissance de la narration comme genre littéraire qui, mieux les programmes ou les discours de tribune, peut redonner à la politique ses lettres de noblesse.
On n'est pas dans la pipolisation. Si le ton est léger, les interrogations sont lourdes. Chacun est libre d'en déduire ce qu'il juge bon.
Elisabeth BOYER Passion politique, Carnets d'une militante
Editions RIVENEUVE ISBN 978-2-36013-110-5
10€
http://blogs.mediapart.fr/blog/dianne/100312/elisabeth-boyer-passion-politique-carnets-dune-militante
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire